Week-end gastronomique à Lyon

Apprécier ce que l'on ne saurait voir


Photo par Neven Krcmarek on Unsplash

Et si nous partions juste un Week-End à Lyon ?
Et si nous en profitions pour faire une expérience culinaire qui, pour nous, sort de l’ordinaire ?

Eh bien, pourquoi pas!
C’est parti, direction Lyon et tout particulièrement le quartier où se tient la Cité Internationale pour découvrir un endroit bien caché à l’abri des regards derrière un rideau noir épais bien opaque qui s’appelle La Table en Braille.

Le concept de ce restaurant atypique est de dîner dans le noir le plus total, un repas surprise concocté pour nous. Et oui en plus de ne pas voir son assiette (ni la personne en face, pratique pour un blind date), nous ne savons pas ce qu’elle contient (l’assiette, pas la personne en face de vous. Essayer de suivre un peu…). Bien sûr lors de la réservation, il vous sera demandé quels aliments vous rebutent et vos allergies. Le but reste, quand même, de se faire plaisir et non de finir aux urgences avec une intoxication aux arachides…

Si ce concept peut en rebuter plus d’un, Stéphanie, elle, en avait envie depuis bien longtemps. Moi, comme à mon habitude quand ça parle de nourriture, je suis, l’eau à la bouche.

Le restaurant se cache dans un bistro moderne, qui répond au nom du Comptoir JOA. Nous avons été joyeusement accueillis par une hôtesse souriante qui ne dévoile rien de ce qui va se passer en ces lieux. En effet, beaucoup de personnes viennent ici sans savoir où ils mettent les pieds, car invitées par un proche heureux de leur faire la surprise. Donc, on garde le secret et on suit les instructions de l’hôtesse qui nous invite à passer aux toilettes et nous laver généreusement les mains. Nous sommes ensuite conduits jusqu’à cet énigmatique rideau noir où nous attend une jeune aveugle. C’est grâce à elle que nous allons déambuler à la queue leu leu dans le noir le plus total jusqu’à notre table. C’est elle qui nous a indiquée où se trouvaient verres, couverts et panière à pain.

Une fois tous les convives installés, elle s’occupa de nous tout au long du repas et se chargea du service.

Si pour notre serveuse, prendre ses repas sans l’aide de la vue est quelque chose de banal, il n’en est pas de même pour nous. Nous sommes ici dans son quotidien et un des buts de la Table en Braille est de nous plonger dans la situation d’une personne aveugle. Le pari est réussi. On galère à remplir les verres, à trouver la carafe d’eau… On en rit beaucoup, on se cherche sur la table pour échanger du pain, ou les verres à remplir. Il faut absolument mémoriser l’emplacement des objets pour ne pas les chercher à tâtons en permanence. Nous sommes handicapés sans notre vision, et nous comprenons rapidement que le quotidien d’un aveugle peut être compliqué si ses habitudes sont chamboulées. Pour preuve, Stéphanie s’est cognée la tête dans la table à côté en voulant ramasser son couteau qu’elle avait fait tomber par terre. La faute à ne pas avoir remis son couteau à sa place! De plus, elle était persuadée d’être sur une table 2 personnes et que le vide nous entourait.

Il ne faut donc pas partir avec ses préjugés de voyants. Le deuxième “incident”, j’ai trop rempli le verre de vin de Stéphanie. Je vous donne ma technique qui ne fonctionne qu’à 50%. Un doigt dans le verre, pas trop au bord et se concentrer très fort sur le son que fait le liquide. Si le doigt est mouillé, il faut s’arrêter.

Si nous sommes là pour effectivement se placer dans une infime partie du quotidien d’un aveugle, nous sommes aussi là pour découvrir ce que donne un repas en faisant abstraction de la vue.

L’ambiance est décontractée et bon enfant tout autour de nous. Nous prenons nos difficultés de placement dans l’espace ou de recherche du verre à vin avec humour et bonne humeur.

Le premier met est une verrine. Une fois que la cuillère a réussi à atteindre notre bouche (oui, ce n’est pas aussi évident qu’il y paraît), nous reconnaissons un fin émincé de champignon. Dessous nous découvrons un taboulé au boulgour et poulet. Stéphanie reconnaît les ingrédients, pendant que moi je ne parviens pas à mettre un nom sur ces goûts que je connais pourtant.

L’entrée qui nous est servie est différente du reste de la salle. Les autres convives ont le droit à une entrée à base de poisson pendant que nous, nous avons le droit à une terrine de viande accompagnée de mâche et de shiitaké. C’est ici que commencent les vrais problèmes ! Comment récupérer ces aliments dans une assiette que nous n’avons pas dressé et que nous ne voyons pas. Et bien nous cherchons ce qu’elle contient avec nos doigts. J’essaye de faire avec ma fourchette et mon couteau pour manger, Stéphanie, elle, utilise ses doigts ! Ce n’est vraiment pas évident de mettre un nom sur ce que nous touchons. Par exemple, le shiitaké est un truc froid, légèrement mou et gluant. Ca donne envie 😅.

C’est une chose étrange que de chercher la nourriture que contient son assiette et d’essayer de s’en faire une image mentale. Stéphanie apprécie de manger avec ses doigts (ses doigts sont devenus ses yeux), ce qui n’est pas fréquent et encore moins dans un restaurant. J’avoue que j’abandonne assez vite l’idée de couper mes aliments avec le couteau et je me contente de ma fourchette.

Notre hôtesse nous apporte ensuite le plat qui est le même pour tous. C’est un régal. Les viandes de bœuf et de canard sont cuites à la perfection. Des légumes rôtis au four les accompagnent. Le chef et son équipe ont réussi à nous offrir des légumes tendres et croquants à la fois. Sous nos doigts nous trouvons quelque chose de rond qui ressemble à un tronçon de courgette, des pommes de terre nouvelles, un légume long avec des poils au bout (une carotte avec une fane), une demi-tomate, et un autre indéfinissable au touché, mou avec une peau épaisse (une variété d’aubergine que nous ne connaissions pas). Tout a du goût. C’est un plaisir à déguster, même si la courgette pourtant un peu grosse sera enfournée sans être coupée en plus petits bouts.

C’est effectivement une sensation des plus étranges de devoir faire appel à sa mémoire tactile et gustative pour identifier ce qui va être ingéré. Je ne suis pas très fort à ce jeu, mais je m’amuse comme un gosse.

Le dessert n’est pas en reste. L’image mentale que je m’étais construit de mon assiette était bien loin de la réalité. Nous y avons découvert une tartelette à l’abricot, un biscuit sablé à la noix de coco, une noix d’une délicieuse crème au citron, et une crème brulée revisitée. Au milieu de ces douceurs serpentait un coulis de fraise.

Lorsque le repas est terminé, notre hôtesse nous guide jusqu’au rideau, où, derrière lequel se trouva une lumière aveuglante.

Avant de passer à la caisse, le chef nous a fait un débriefing sur notre repas afin de recueillir nos impressions et ce que nous imaginions avoir mangé. Il nous présente ensuite les vins qui nous ont été servis (nous avons été agréablement surpris, d’autant plus que les 10 de cours d’oenologie de Stéphanie n’ont pas servi à lui faire deviner les vins!), ainsi que des photos du dressage des plats. C’est très agréable de pouvoir, après le repas, échanger avec les autres convives sur ce moment partagé.

Nous nous sommes rendus compte des grandes différences entre ce que nous imaginions et la réalité. La Table en Braille est une expérience que j’ai apprécié de vivre avec Stéphanie. C’est un moment rare où il nous est donné de se plonger dans une partie du quotidien de certains de nos concitoyens. La cécité temporaire à laquelle nous avons dû faire face nous a permis d’appréhender l’espace et notre repas d’une autre manière. La nourriture prend un autre aspect dans le noir. Nous pouvons nous concentrer sur le goût, mais aussi la texture des aliments. Le repas prend vraiment une autre dimensions.

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